La transparence et l’objectivité s’opposent-elles en journalisme?

Une notion prend de plus en plus d’importance en journalisme, celle de « transparence ». On pourrait en dater la popularité avec le livre The Elements of Journalism: What News People Should Know and the Public Should Expect de Bill Kovach et Tom Rosenstiel (2007) et l’article « Transparency: An Assessment of the Kantian Roots of a Key Element » de Patrick Plaisance (2007). Cette notion est pensée comme une exigence éthique d’ouverture et d’honnêteté du journaliste envers son public. Elle a toutefois subi une altération avec un court texte de David Weinberger qui relie, et même oppose directement, la notion de transparence en journalisme à celle l’objectivité1.

En résumé, la transparence dans le contexte journalistique pourrait se traduire comme la volonté de rendre visible au public les décisions, les méthodes et les sources qui participent à la production de la nouvelle. Cette transparence est « matérielle » au sens où elle se présente le plus souvent comme des « hyperliens » inscrits dans les textes journalistiques. Elle résulte d’une crise de légitimité que les médias vivent à l’ère de l’accès à l’information et à la discussion sur les réseaux par le plus grand nombre2. Mais elle est aussi la conséquence de de la concurrence des médias sociaux et des blogues.

Dans un court billet publié assez récemment, Fanny Samson, dans la suite de Weinberger, tente de départager les deux notions de transparence et d’objectivité. Le titre de son billet est assez révélateur : « L’objectivité n’existe pas ». À partir de discussions avec des journalistes bien connus et des intervenants du monde journalistique, elle soutient que l’objectivité est impossible, qu’il faut plutôt tenter d’atteindre une « impartialité ». Or, puisque toute personne est naturellement partiale, c’est la transparence qui permet de suppléer à ce défaut. Cette transparence permet de rendre compte, souvent en récit, du travail journalistique.

Selon David Weinberger,

for a long time, journalists aimed to be objective. That’s not an achievable aim, and the claim that reporting is objective is not just wrong but seriously misleading. From the selection of the news to cover to the way in which the story is told, news reporting – like all story telling and all history – is from a particular point of view with particular expectations and values.

Une des manières de rendre une nouvelle transparente est ainsi de raconter l’histoire de son développement, toujours selon Weinberger : « Transparency – the embedded ability to see through the published draft – often gives us more reason to believe a report than the claim of objectivity did. » On pourrait qualifier cette nouvelle manière de présenter la nouvelle de « généalogique » parce qu’elle approfondit les origines en montrant l’étendu de l’activité plutôt que de fournir un produit définitif. La transparence permet ainsi, contre une objectivité artificielle, de laisser le lecteur de nouvelles évaluer les biais éventuels des journalistes. Une nouvelle objectivité, pourrait-on conclure, est atteinte, cette fois plus véridique parce que la subjectivité de chacun est en quelque sorte assumée.

Des études plus critiques du concept laissent pourtant voir l’« envers » de la transparence qui n’est pas toujours éthique. Les chercheurs Kalyani Chadha et Michael Koliska, par exemple, en interrogeant des journalistes de grands médias américains, concluent que la question de la transparence devient plus souvent de savoir comment avoir l’air transparent, sans nécessairement l’être. Pour les entreprises médiatiques, la transparence est plutôt vue comme un mécanisme visant à démontrer une ouverture des médias devant les critiques possibles de l’auditoire, mais elle est aussi une occasion mercantile, celle de produire du matériel supplémentaire à partir d’une seule et même histoire. Par exemple, un journaliste du Los Angeles Times affirme : « People think about transparency as a sort of promotional tool… it builds better relationships with the public which means that more people come to our website. Our ultimate goal is to retain loyal readers and drive traffic to the website […]. » (dans Chadha et Koliska, 221) De nouveaux problèmes éthiques peuvent aussi survenir. En s’ouvrant tant au public, c’est souvent la distinction entre le public et le privé qui en souffre (225), ce qui est loin d’améliorer l’objectivité des journalistes.

Au final, on pourrait se demander si ce n’est pas la définition d’« objectivité » qui fait problème avec cette nouvelle notion de transparence. Pour promouvoir cette dernière, Weinberger décrivait la manière pour la mettre en pratique en disant que « [the] content is linked, public, discussed and always subject to dispute and revision ». N’a-t-on pourtant pas là la définition même de l’objectivité? Weinberger et, à sa suite, Samson semblent croire que l’objectivité est synonyme de « vérité », quelque chose comme un discours lui-même porteur d’une essence de vérité. Un discours vrai en lui-même qui se refuse à toute évaluation critique n’est pas un discours objectif, c’est un discours dogmatique (et, pourrait-on ajouter, subjectif). Épistémologiquement, un discours objectif ne possède pas en lui-même le fondement de sa vérité, c’est très exactement parce qu’il peut être soumis, publiquement, à la discussion et à la critique qu’il peut être qualifié d’objectif. Il faudrait ainsi se demander si l’exigence de la transparence dans le discours journalistique ne vise pas, finalement, à se rapprocher des exigences déjà désirées du discours scientifique. Ou si c’est tout simplement un moyen de gagner des lecteurs.

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