Le corpus comparable en traductologie journalistique

La traductologie journalistique est l’étude des phénomènes de traduction dans les journaux. Cette étude se fait à partir d’un corpus de nouvelles d’information en différentes langues. Le corpus utilisé peut être parallèle ou comparable. Dans le billet sur l’invisibilité de la traduction interlinguistique dans les journaux, on explique la difficulté de repérer des segments de traduction interlinguistique du fait qu’ils sont invisibles. Conséquemment, la construction d’un corpus parallèle est un véritable casse-tête et une étape chronophage de la recherche : comment aligner les mêmes segments de nouvelles traduites en diverses langues si les transferts linguistiques ne sont pas signalés dans les textes par les journalistes? Bien qu’il arrive que des articles entiers soient traduits en diverses langues, notamment les dépêches d’agences de presse, la reconstitution des paires de textes représente un écueil de taille pour quiconque veut s’atteler à l’étude d’un corpus de taille importante. À moins d’avoir accès aux archives du service de traduction d’une agence de presse, les traductologues arrivent difficilement à constituer de vastes corpus de textes journalistiques parallèles. 
 
L’invisibilité de la traduction interlinguistique et le labeur qu’exige la constitution d’un corpus parallèle devraient rendre le corpus comparable attrayant aux yeux des traductologues qui souhaitent analyser un volume important de mots. À la différence du corpus parallèle composé de textes originaux en langue source et de leur version traduite en langue cible, le corpus comparable bilingue réunit un ensemble de textes en langue A et en langue B qui partagent des similarités. Un répertoire de textes journalistiques couvrant l’actualité économique et financière sur une période donnée pour des publics francophone et anglophone au Canada est un excellent exemple de corpus comparable. 
 
En élargissant les critères de sélection des textes destinés à l’analyse comparative qui occupe la traductologie, on peut aussi ouvrir la définition de la traduction. Quand on parle de traduction, on réfère par défaut au transfert linguistique; c’est le sens le plus répandu du verbe traduire. À l’ère de l’économie mondiale et des marchés interconnectés, les journalistes sont souvent appelés à traduire des segments provenant de sources documentaires, de communications d’entreprises ou de déclarations recueillies en langue étrangère. Mais ils font bien plus que cela en matière de traduction; les journalistes reformulent certains concepts d’économie et de finance afin qu’ils soient compris du grand public. La part de vulgarisation dans le travail de rédaction journalistique est loin d’être négligeable et mérite amplement d’être étudiée. La recherche en traduction journalistique nécessite donc qu’on inclue les occurrences de vulgarisation. En fait, la reformulation, ou dire la même chose en d’autres termes dans une même langue, est le premier type de traduction que Roman Jakobson recense dans son texte « On linguistic aspects of translation » (1959, p. 233). Les journalistes sont également des médiateurs interculturels, notamment lorsqu’ils traitent de réalités éloignées du territoire géographique et donc étrangères aux référents connus de leurs lecteurs. Par souci de clarté, ils présentent ces réalités en leur greffant des éléments de contexte en vue de les rendre compréhensibles.
 
L’étude de divers phénomènes de traduction à l’aide d’un corpus comparable comporte des avantages méthodologiques importants. La mise en contraste d’un répertoire de textes produits au cours d’une période bien balisée par deux groupes culturels et linguistiques fait ressortir toutes sortes de différences et de convergences, de la manière dont les journalistes expliquent l’économie et la finance (par exemple, la crise financière) aux sources qu’ils ont sélectionnées pour les citations (voir le billet sur le bancocentrisme). Il s’agit de précieux postes d’observation pour comprendre les valeurs et les idéologies qui structurent le discours médiatique.