La Banque du Canada voit sa politique monétaire comme une boîte à outils

« So, what’s in the central bank’s tool kit when interest rates are already very low? » — Stephen Poloz

« Alors, qu’y a-t-il dans la boîte à outils de la banque centrale lorsque les taux d’intérêt sont déjà très faibles? » (traduction officielle)

C’est la question que le gouverneur de la Banque du Canada a posée dans un discours prononcé devant l’Empire Club of Canada le 8 décembre 2015, notamment pour introduire le sujet du taux directeur négatif.

La métaphore conceptuelle qui attire l’attention est LA POLITIQUE MONÉTAIRE EST UNE BOÎTE À OUTILS. Le syntagme « boîte à outils » connaît un usage récent dans les communications de la Banque du Canada. Une recherche dans les discours archivés sur son site révèle que l’apparition de « tool kit » (ou « toolkit ») et de « trousse à outils », qui préfigure « boîte à outils », remonte à 2010. Les termes français n’ont été par ailleurs que rarement utilisés par les journalistes. À preuve, une fouille dans notre corpus de presse francophone (La Presse, Le Devoir, Le Droit de 2001 à 2008) ne révèle aucune occurrence de « trousse à outils » et seulement trois occurrences de « boîte à outils », quoiqu’une seule soit en lien avec le thème de la politique monétaire, en surbrillance ci-dessous.

 

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(Scott 2015)

Cette occurrence provient d’un article de La Presse paru en décembre 2007 pendant la crise de liquidité qui a suivi la crise des prêts hypothécaires à risque (subprimes) ayant éclaté cet été-là. En amorce de son texte, le journaliste a utilisé la métaphore conceptuelle L’ÉCONOMIE EST UNE VOITURE à des fins de vulgarisation. Il a poursuivi sa conceptualisation en précisant que le capital est le moteur, le travail est le carburant et les liquidités sont le lubrifiant. Par inférence donc, LA BANQUE CENTRALE EST UN MÉCANICIEN; d’ailleurs, le titre de l’article était « Les banques centrales jouent les garagistes ».

La fréquence du terme « toolbox » est aussi faible dans notre corpus de presse anglophone (The Globe and Mail, National Post, The Gazette, Toronto Star de 2001 à 2008), où seules deux occurrences relèvent de la politique monétaire. La première se présentait en indice de mots croisés en 2002, mais la deuxième, en surbrillance, a paru dans un article à la fin de novembre 2008, en pleine crise économique, et faisait référence aux mesures de politique monétaire créées par Ben Bernanke, alors président de la Réserve fédérale américaine.

 

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(Scott 2015)

Quant au synonyme, la fréquence du terme est tout aussi faible : « toolkit » apparaît une fois dans un article paru en octobre 2008, et une occurrence de « tool kit » (en deux mots) se trouve dans un article de 2001 à propos des mesures du Fonds monétaire international.

S’il est tout à coup question de la « boîte à outils », c’est que la Banque du Canada s’est munie d’autres instruments qu’elle qualifie de non traditionnels, dont le taux directeur négatif. Aussi celui-ci a-t-il attiré l’attention du Globe and Mail un samedi de février 2015, par rapport aux autres outils de politique monétaire non traditionnels : les indications prospectives, les achats massifs d’actifs et le financement du crédit.

Pourquoi s’intéresser à la métaphore conceptuelle LA POLITIQUE MONÉTAIRE EST UNE BOÎTE À OUTILS? Du point de vue de l’analyse du discours en traduction, elle en dit beaucoup sur la manière dont les réalités du monde financier et économique sont construites par le langage en anglais et en français. La conceptualisation de la boîte à outils pour expliquer la fonction de la Banque du Canada permet d’inférer que celle-ci occupe un rôle qui l’amène à réparer l’économie.

En fait, c’est en temps de crise financière que les banques centrales ont commencé à utiliser des instruments non traditionnels, notamment pour renflouer les marchés financiers en panne sèche de liquidités et à court de confiance. L’intervention de l’autorité monétaire s’est donc faite après coup, après ce que bon nombre ont voulu voir comme une catastrophe naturelle. Or, l’annonce faite par la Banque du Canada qu’elle n’hésitera pas à se servir des outils qu’elle jugera nécessaires, dont le taux négatif, pour relancer l’économie inquiète les marchés. Le « réparateur » en ferait-il trop?